Quelle judicieuse idée, en cette année marquée par les conflits et la résurgence dans le paysage politique de postures despotiques, que de monter la pièce de Camus, Les Justes.
Condensant la pièce à l'os, Maxime d'Aboville s'attache à l'essence de la vision camusienne qui condamne l’absolutisme révolutionnaire. Pour Camus, qui reçut le prix Nobel de la paix en 1957, la fin ne peut pas justifier tous les moyens.
Boris Annenkov, le chef des terroristes du parti socialiste révolutionnaire compose avec les idéaux divergents des membres de son groupe.
Stephan marqué par son expérience du bagne, dénué de sentiments et d’empathie, s'oppose à Kaliayev qui ne peut concevoir de sacrifier des vies innocentes, des civils, au nom d'une cause qui perdrait alors toute légitimité.
Évoluant dans un décor sombre aux murs de tôles que la toile peinte de Marguerite Danguy des Déserts vient habiter de ses tons inquiétants, les comédiens incarnent le groupe de socialistes révolutionnaires qui projette d’assassiner le grand-duc qui règne en tyran sur la ville de Moscou.
Avec justesse et une véritable présence, Arthur Cachia, Étienne Ménard, Oscar Voisin et Marie Wauquier s'emparent de la profondeur du propos humaniste qu'ils éclairent de leur incarnation toujours centrée sur l'axe dichotomique d'une morale bousculée.
Exit le personnage de Voinov et la part romancée de l’histoire d’amour entre Dora et Kaliayev, le metteur en scène centre son adaptation sur les caractères, en proie aux vicissitudes de la révolte, de l’action et de ses conséquences.
Entre terrorisme et acte de résistance, Les Justes nous fait naviguer dans les eaux troubles d'une actualité brûlante.
Avec cette adaptation épurée, Maxime d’Aboville rappelle combien la parole de Camus, entre doute et exigence morale, demeure nécessaire. Le théâtre devient le lieu d’une réflexion toujours actuelle sur l'engagement, la révolte et l’humanité. En resserrant Les Justes à son essence, Maxime d’Aboville nous confronte à une question brûlante : comment agir sans basculer dans la barbarie que l’on prétend combattre ?
À l’heure où le monde vacille, en proie aux affrontements politiques violents, la pièce résonne comme un indispensable garde-fou.
Les Justes d'Albert Camus, mise en scène par Maxime d'Aboville au Théâtre de Poche- Montparnasse
Avec : Arthur Cachia - Étienne Ménard - Oscar Voisin - Marie Wauquier
Costumes et scénographie : Charles Templon assisté de Pixie Martin
Création sonore : Jason Del Campo
Toile peinte : Marguerite Danguy des Déserts
Lumière : Alireza Kishipour
Photos : Sébastien Toubon
Sophie Trommelen, vu le 2 septembre 2025 au Théâtre de Poche - Montparnasse