Comme une revanche, en hommage aux trente ans de la disparition de Jean-Luc Lagarce, Clément Hervieu-Léger met en scène Nous, les Héros, écrite en 1992, une pièce que l’auteur n’avait jamais pu monter de son vivant, faute de soutien et de programmation.
En situant l’action à l’orée des années 1990, Clément Hervieu-Léger insuffle un souffle nouveau à ce texte qui s’attache à un instant de la vie d’une petite troupe de théâtre familial sillonnant les routes de province. De la complexité des portraits de famille que Jean-Luc Lagarce a su si bien figurer, Nous, les Héros dessine le plus beau des portraits, celui des acteurs eux-mêmes.
La troupe sort de scène sous les huées du public. Depuis les loges d’un théâtre de fortune, le spectateur assiste à l’intimité des comédiens, à cet instant suspendu des coulisses où, encore sous l’effet de l’adrénaline, ils s’agitent, se démaquillent, s’affrontent, se retrouvent. Les discussions s’enflamment, les frustrations surgissent, les égos s’émancipent. Avec justesse et tendresse, Clément Hervieu-Léger révèle toute la profondeur du propos de Lagarce qui en donnant à voir les comédiens derrière la lumière du plateau, les envisage tels qu’ils sont, des êtres qui doutent, s’aiment, s’épuisent, mais continuent obstinément à faire théâtre.
Portée par Elsa Lepoivre, éblouissante, les comédiens, Aymeline Alix, Clémence Boué, Jean-Noël Brouté, Olivier Debbasch, Vincent Dissez, Thomas Gendronneau, Judith Henry, Juliette Léger, Guillaume Ravoire et Daniel San Pedro composent une véritable constellation d’interprètes. Premier rôle, second rôle, exigence du public qui attend du divertissement, notoriété, précarité, les comédiens incarnent toutes les contradictions, les obsessions et les désillusions avec lesquelles l’artiste doit composer.
À travers la musique de Thomas Gendronneau, qui advient comme autant de respirations mélancoliques bienvenues, les costumes subtilement signifiants de Caroline de Vivaise et la scénographie de Camille Duchemin, tout est là, le théâtre dans ce qu’il a de plus vrai, de plus humain, un espace où se rejouent la fatigue, l’orgueil, la peur et la sensibilité.
Clément Hervieu-Léger signe une déclaration d’amour au théâtre et à ceux qui le font. Entre humour et mélancolie, Nous, les Héros résonne comme un hommage vibrant à la fragilité de l’artiste et à la vibration du collectif.
crédit photos : © Juliette Parisot
Nous les Héros de Jean-Luc Lagarce mise en scène Clément Hervieu-Léger jusqu'au 1 novembre au Théâtre des Bouffes du Nord

