Julien Gosselin ouvre la nouvelle saison de l'Odéon en reprenant sa création Le Passé. Une introduction subtile qui donne le ton de l’intention du nouveau directeur de se détacher d’un certain académisme pour explorer de nouvelles formes contemporaines de représentation.
En adaptant Ekatérina Ivanovna dont il fracture le récit par Requiem et trois nouvelles, L’Abîme, Après le brouillard et La résurrection des morts, le metteur en scène nous plonge dans les textes du dramaturge russe Léonid Andréïev. Les adaptations représentées de façons distinctes sur le plateau se juxtaposent et s’entremêlent. Les ruptures dans la narration, dans le ton et dans la forme, créent un fil cohérent qui éclaire toujours un peu plus le propos du Passé. Un passé révolu figuré scénographiquement par l'utilisation d'un théâtre traditionnel suranné contrasté par des formes nouvelles de représentation.
Alors qu'on devine les comédiens à travers le voile des rideaux tirés ou au loin, dans l'embrasure d'une porte entrouverte, la représentation évolue hors-champs, filmée et projetée en temps réel sur un écran géant qui surplombe le plateau. Julien Gosselin transcende la puissance du théâtre et du cinéma pour composer un matériau hybride, sans qu'aucun des deux arts n’annihile l'autre. Utilisant la caméra pour filmer au plus près ses personnages et l'infini des possibles de l'interprétation théâtrale, Julien Gosselin bouscule les codes de la représentation avec une intensité saisissante. Le metteur en scène utilise tout ce que le cinéma permet, la proximité de l'expression des corps, le moindre frémissement d’un regard et tout ce que le théâtre rend possible, l’extrême expressivité des sentiments et un tragique déployé à l'infini.
Utilisant aussi bien les codes du drame russe, du vaudeville, du film d'horreur ou du film d'auteur, n’hésitant pas à utiliser l'auto-tune, Julien Gosselin malaxe avec une fluidité déconcertante tout ce qui fait sens pour lui et pour le drame. Tout est à la fois ridicule et sublime, suranné et moderne, tout fait théâtre. Déconstruisant les codes formels de la représentation, le dispositif scénique, porté par l'intensité incroyable des comédiens, est entièrement au service du drame. Fulgurances de formes et d'inventivité, Le Passé figure une théâtralité puissante qui restera longtemps gravée dans nos émois de spectateur.
Dans ce vertige d’images et de sensations, Julien Gosselin ouvre le champ d’un théâtre qui s' affranchi des cadres, et réinvente ses formes pour mieux sonder ce que l’humain porte de chaos et de beauté. Une entrée de saison comme une promesse, celle d’un théâtre résolument tourné vers l’avenir et qui, sans renier sa mémoire, traverse son patrimoine pour mieux le transfigurer.
Le Passé d'après Léonid Andréïev de Julien Gosselin jusqu'au 4 octobre 202 à l'Odéon - Théâtre de l'Europe
production : Si vous pouviez lécher mon cœur
coproduction : Odéon Théâtre de l’Europe, Le Phénix — scène nationale de Valenciennes pôle européen de création, Théâtre national de Strasbourg, Théâtre du Nord — centre dramatique national Lille, Tourcoing Hauts-de-France, Célestins — Théâtre de Lyon, Théâtre national populaire, Maison de la culture d’Amiens, L’Empreinte — scène nationale Brive-Tulle, Château Rouge — scène conventionnée à Annemasse, Comédie de Genève, Wiesbaden Biennale, La Passerelle — scène nationale de Saint-Brieuc, Scène nationale d’Albi, Romaeuropa
Sophie Trommelen, vu le 13 septembre 2025 à l'Odéon, Théâtre de l'Europe