Avec une audace bienvenue, Guy Pierre Couleau s’empare de Rope, la pièce de Patrick Hamilton devenue mythique depuis son adaptation cinématographique par le maître du suspense, Alfred Hitchcock en 1948.
Guy-Pierre Couleau a cette faculté de voyager dans un répertoire aux horizons multiples, de la tragédie shakespearienne Hamlet, à l'allégorie persane du poète soufi Farid al-Din Attar, magnifique adaptation de La Conférence des Oiseaux, l’ancien directeur de la Comédie de l’Est s’aventure cette fois-ci dans l’univers du thriller, avec une maîtrise de la tension dramatique captivante.
Louis et Gabriel assassinent leur camarade de promo et décident sciemment de dissimuler son corps dans un coffre, en plein milieu du salon. Ils convient alors leur voisin, leur ancien professeur, la mère de Louis ainsi que la fiancée d'Antoine à un macabre dîner.
Guy Pierre Couleau s'empare de toute la subtilité du texte qui derrière l’acte apparemment gratuit perpétré par les deux jeunes hommes fait émerger en creux des rapports de domination troublants, nourris d’idéologies perverses.
Évoluant dans un décor élégant, aux nuances d’ocre qui accentuent le huis clos, les comédiens Myriam Boyer, Lucie Boujenah, Audran Cattin, Grégori Derangère, Martin Karmann et Thomas Ribière donnent corps avec une belle énergie à des personnages aux traits socialement marqués. Ici, la valeur d’un individu s’évalue à la hauteur de sa position sociale et de son ambition.
Déformant les théories nietzschéennes du surhomme enseignées par Émile Cadellleur, leur professeur de philosophie, Louis et Gabriel basculent dans une logique de toute-puissance glaçante, justifiant l’injustifiable de leur crime par leur fascination idéologique.
Subtilement l'humour savamment distillé, surgit des dialogues des convives. Le spectateur, placé en position de complice, puisqu’il a connaissance du crime, savoure l’ironie cruelle des propos anodins qui se chargent d’un double sens cruel. Magnifique, Myriam Boyer, en mère marquée par les convenances de classe, tergiverse en toute innocence sur la peine de mort, ou sur les plaisirs macabres de son fils pendant l’enfance.
Avec malice aussi, l'adaptation sème des clins d’œil connivents avec le spectateur. Si Hitchcock convoquait Cary Grant ou son film Les Enchaînés, Lilou Fogli et Julien Lambroschini osent les références à Pagnol ou à La Grande Illusion.
Dans ce huis clos d’une élégance troublante, où le rire se mêle à l’inquiétude, Guy-Pierre Couleau, Lilou Fogli et Julien Lambroschini réussissent à réinventer la pertinence d’une pièce écrite dans les années 1920 et popularisée par Hitchcock. A travers la tension du thriller, ils mettent en lumière la persistance inquiétante des logiques de domination et des idéologies dangereuses.
Avec acuité, l’adaptation de La Corde rappelle combien le théâtre peut interroger notre rapport au pouvoir, à la morale et à la justice.
Une tension élégante, un crime glaçant.
La Corde d’après la pièce de théâtre Rope de Patrick Hamilton mis en scène par Guy-Pierre Couleau au Studio Marigny
Adaptation : Lilou Fogli et Julien Lambroschini
Mise en scène : Guy-Pierre Couleau
Avec : Myriam Boyer, Lucie Boujenah, Audran Cattin, Grégori Derangère, Martin Karmann et Thomas Ribière.
Assistante mise en scène : Anne Poirier-Busson
Scénographie et accessoires : Delphine Brouard
Création lumières : Laurent Scheegans
Musique et son : David Parienti
crédit photos : Bertrand Exertier
Sophie Trommelen, vu le 24 septembre 2025 au Studio Marigny