Liebestod d'Angélica Liddell

 

Angélica Liddell compose avec Liebestod, L'odeur du sang ne me quitte pas des yeux - Juan Belmonte- Histoire(s) du théâtre III, une confession intime et troublante.
S'inspirant de Liebestod, l'air final de l’Opéra de Wagner Tristan et Iseut, de la phrase obsédante de Francis Bacon El Olor a sangre no se me quita de los ojos et du mysticisme du toreo Juan Belmonte dont la violence de l'art se fait l'illustration scénique la plus puissante de la tragédie, Angélica Liddell dessine les contours de son propre théâtre, de ce qui fait sens dans sa poésie si provocante, exaltée et exaltante.
Dans un long monologue aux résonances âpres et mélancoliques, Angélica Liddlell clame ses souffrances. La colère et le désespoir suintent comme ce sang qui coule de sa peau qu'elle entaille.
Il ne sortira pas de ma bouche un seul mot sur le bonheur. 
 
Comparant son processus de création au toréador qui joue avec la mort dans l’arène, Angélica Liddell joue sa vie sur scène, ce soir prête à imploser, atteignant les confins de son intériorité, incapable de supporter ce trop-plein d'intensité. 
Tous les mystiques n’eurent-ils pas, après de grandes extases, le sentiment de ne plus pouvoir continuer à vivre ? Que peuvent donc encore attendre de ce monde ceux qui ressentent au-delà de la normalité la vie, la solitude, le désespoir ou la mort.
 

Dans une confession douloureuse, Angélica Liddell s'impose en femme qui s'avoue vaincue, en proie au doute et à l'impossible concrétisation d'un véritable amour. A la fois provocante et lucide, déroutante et faillible, la femme amante et la femme artiste confrontent leurs blessures en un moment de théâtre charnel et carnassier.

Voir Angélica Liddell sur scène, c'est voir le théâtre dans ce qu'il a de plus vivant, de puissant et d'intense.
Vivre un instant de scène avec Angélica Liddell, c'est vivre une véritable expérience artistique et humaine.
A aucun moment Angélica Liddell ne rassure. La performance maintient toujours le fil tenu de la tension, de l’appréhension de ce qui peut surgir, sans que jamais pourtant l’extravagant n'inconforte. 
La provocation se fait le reflet d'une sensibilité authentique, exacerbée et solennelle.
Implorant Cioran ou Rimbaud comme elle implore le ciel, elle sacralise la création artistique, religieusement, passionnément.
 
Incandescente, mi-sainte mi-sorcière, Angélica Liddell s'abandonne sur le plateau, véritable lieu de la catharsis, se mourant littéralement d'amour. Confessant son échec à vivre dans la vie les passions qu'elle exalte sur scène, dépassée par le manque de transcendance qui anime les combats d’aujourd’hui, Angélica Liddell, dans un long monologue abrupt, invective de son souffle si particulier le monde qui l'entoure.
 
Angélica Liddell réécrit de ses larmes et de son sang, l’histoire de son théâtre, l’histoire de sa vie et les deux entremêlés dessinent le portrait d'une femme entière et extrême, incapable de se plier à la médiocrité d'une vie, d'un geste, fût-il artistique, qui serait dépourvu de passion.
Virtuose, Liebestod – El Olor a sangre no se me quita de los ojos – Juan Belmonte Histoire(s) du théâtre III se vit comme un cri d'amour et de douleur qui nous entraine dans les abysses de cette recherche permanente du vertige et de la spiritualité en tout. Frontale, aussi lumineuse que sombre, Angélica Liddell explicite sans concession cette exigence violente de chaque instant.
Une profession de foi bouleversante.
 
 


crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

Liebestod d'Angélica Liddell à Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu'au 18 novembre 2022.
en espagnol, surtitré en français
 
texte et mise en scène Angélica Liddell 
scénographie, costumes : Angélica Liddell
lumière : Mark Van Denesse
son : Antonio Navarro
habit de lumière : Justo Algaba
créé le 8 juillet 2021 au Festival d’Avignon
production Atra Bilis, NTGent coproduction Festival d’Avignon, Tandem –scène nationale Arras-Douai, Künstlerhaus Mousonturm – Francfort
en coréalisation avec le Festival d’Automne à Paris
Liebestod, L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux. Juan Belmonte, d’Angélica Liddell, traduction de l’espagnol par Christilla Vasserot, est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs, 2021 
 
Sophie Trommelen, vu le 10 novembre 2022  à Odéon-Théâtre de l’Europe