La Ménagerie de Verre de Tennessee Williams m.e.s Ivo van Hove


Ivo van Hove adapte la pièce de Tennessee Williams, la Ménagerie de Verre et nous plonge dans ce huis clos familial oppressant. Amanda et ses deux enfants, Laura et Tom, survivent dans un petit appartement du Sud des États-Unis ravagé par la crise. De sa jeunesse, il ne reste à Amanda que de doux souvenirs qu'elle idéalise. Désormais seule face à l'adversité, Amanda nourrit le désir prégnant de voir ses enfants s'émanciper de cette vie de misère, une émancipation dont pourtant elle prive Tom, contraint de subvenir aux besoins de la famille.

La Ménagerie de Verre est une histoire d’échecs, l’échec d'Amanda qui seule élève ses enfants, quittée brutalement par leur père, l'échec de Laura à se confronter au monde extérieur, l’échec de Tom à vivre sa propre vie.

Asphyxiant, le décor du scénographe Jan Versweyveld dit tout de l’atmosphère qui règne dans l'appartement dont le seul accès vers l’extérieur est symbolisé par une issue de secours. A chaque tombé de rideau on espère qu'un nouveau décor apparaisse, plus lumineux mois étouffant, mais non, inexorablement chaque scène s'ouvre sur ce même enfermement, ces murs ocres oppressants. L'appartement ne laisse place à aucune intimité et matérialise l'impasse dans laquelle la famille se retrouve.

Isabelle Huppert, Justine Bachelet, Cyril Gueï et Nahuel Pérez Biscayart incarnent avec justesse la fragilité de ces personnages qui survivent plutôt qu'ils ne vivent. La mise en scène d'Ivo van Hove, va au-delà de l'émotion et s'attache au malaise de ces êtres englués dans une vie avec laquelle ils ne composent pas, étrangers à leur propre destiné.
 
Isabelle Huppert exulte toute la fragilité et l’énergie que déploie Amanda. Mère maladroite et envahissante, elle pourchasse inlassablement l'idée que cette vie médiocre puisse être inexorable. Cette énergie, cette fausse joie surjouée et naïve transfigure une véritable volonté de conjurer la fatalité. Si son déni est flagrant, sa lutte n'en reste pas moins acharnée.
Chacun ici fuit, Amanda dans son enthousiasme, Laura dans son attachement à sa petite ménagerie de verre, Tom dans ses escapades.
 
Tom, pris au piège d'une responsabilité qui lui incombe, est tiraillé entre cette envie d'ailleurs et la culpabilité d'abandonner sa mère et sa sœur.
Narrateur de cette histoire, il porte les souvenirs de chacun, des souvenirs qui se confrontent à l'espoir, des regrets en lutte face aux aspirations. Ces souvenirs n’élucident en rien les non-dits qui planent sur leur passé. Ivo van Hove glisse quelques indices comme la chanson de Barbara, L'Aigle Noir, qui revient comme un leitmotiv et qui se fait l’écho traumatique des souffrances de Laura.

Les magnifiques lumières de Jan Versweyveld, qui viennent parfois percer au détour de la terrasse et des fenêtres l’intérieur de la maisonnée, figurent le monde extérieur, un monde qui résiste aux aspérités d'Amanda, aux démons de Laura mais dont Tom est prêt à se confronter, conscient qu'il doit s’affranchir du foyer familial. Jim, l'ami qui viendra un instant rompre le huis clos, laissera lui aussi juste entrevoir ce monde des possibles, faisant un instant étinceler les yeux de Laura.

La mise en scène d' Ivo Van Hove, loin de toute velléité solaire accentue cette sensation d’étouffement intensifiée par le poids des regrets d'Amanda. Les costumes d'Amanda aux pastels surannés sont à l'image de cette mélancolie lancinante qui accable les personnages enfermés dans leur vulnérabilité.
Subtile, dérangeante dans ce qu'elle a de touchante, l'adaptation d'Ivo van Hove laisse planer le mystère, inhérent au texte de Tennessee Williams, de ces vies sacrifiées.
 
Entre incompréhension et amour les personnages de l'adaptation d'Ivo van Hove naviguent dans les eaux troubles du désenchantement.
Une adaptation à la tension troublante et bouleversante.

 

 

La Ménagerie de Verre de Tennessee Williams mise en scène de Ivo van Hove à L'Odéon, Théâtre de l'Europe jusqu'au 22 décembre 2022

Avec : Isabelle Huppert, Amanda - Justine Bachelet, Laura - Cyril Gueï, Jim - Antoine Reinartz, Tom

dramaturgie : Koen Tachelet
scénographie, lumière : Jan Versweyveld
costumes : An D’Huys
son, musique : George Dhauw
assistant à la mise en scène : Matthieu Dandreau
traduction française : Isabelle Famchon
 
production Odéon-Théâtre de l’Europe
coproduction : Onassis Stegi – Athènes, La Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale, de Singel – Anvers, Barbican – Londres
La Ménagerie de verre est présentée en vertu d’un accord exceptionnel avec The University of the South, Sewanee, Tennessee la pièce est gérée en Europe francophone par Marie-Cécile Renauld, MCR Agence Littéraire en accord avec Casarotto Ramsay Ltd 
 
Sophie Trommelen, vu le 25 novembre 2022 à l'Odéon, Théâtre de l'Europe