Paranoid Paul (you stupid little dreamer) de Simon Diard


 
Adossé au Mur, assis sur un banc, la posture nonchalante, un groupe d'adolescents raconte.
De phrases en phrases, mot à mot, ils recomposent des événements que l'on sent tendus, obscurs.
 

Que s'est t-il passé entre Gregg et Paul ?

Luc Cerutti nous plonge dans l'univers si particulier de Simon Diard.
Paranoid Paul se passe en adolescence. 
L'univers de Paranoid Park ou d'Elephant de Gus Van sant, se mêle à l'atmosphère pesante de We need to talk about Kevin de Lynne Ramsay et aux couleurs vives des vêtements des Kids de Larry Clark.
L’atmosphère est tendue et la tension monte crescendo.
Mais Paranoid Paul ne reste pas dans l'image. Ici ce sont les mots qui font mal.
 

Dans une mise en scène aboutie, Luc Cerutti construit l'histoire à travers un jeu de rôle où chacun traduit ce qu'il sait, ce qu'il a vu, ce qu'il soupçonne. La parole circule, se déforme et s'invente au gré des interprétations de chacun. Sous nos yeux, Shannen Athiaro-Vidal, Amandine Doistau, Alice Jalleau, Mathieu Lescop, Anthony Martine, Adil Mekki et Étienne Thomas rejouent la plongée de Paul dans la spirale de la violence subie. Chaque acteur, dans un jeu subtil, arrive à la fois à faire surgir des personnalités très différentes tout en réussissant à ne former qu'un et s'accorder au groupe. 

Pour le groupe, Paul est celui désigné comme le psychotique, le parano, l'autre, le pas normal.
Pourtant victime du harcèlement quotidien de Gregg, il devient celui qu'on décrit et qu'on juge comme responsable.
 
Dans le texte de Simon Diard tout est une question de point de vue.
Paul n'existe qu'à travers ce qu'on dit de lui. Les témoins se font alors complices d'un jeu macabre qui s’exerce sous leurs yeux et qu'ils rejouent entre eux comme pour exorciser le déni dans lequel ils s'enferment.
 
Simon Diard a ce don de représenter la violence sans la montrer.
Le rythme de la pièce est sans cesse contrebalancé par d'autres voix. Celle de Mathieu Lescop, qui met en musique la psychologie des personnages et interprète en live Dreams de Supertramp ou Psycho killer de Talking heads.
Il y a aussi la voix de la mère. La voix de l'absente, touchante, une mère trop pressée, dépassée, la voix de l'impuissance.
 
Paranoid Paul (you stupid little dreamer) décrit les mécanismes de l'effet de groupe où chacun se conforme à l'idée de l'autre, à l'idée du plus fort qui a l'ascendant sur leur propre jugement. Mathieu Lescop incarne cette présence charismatique, ambivalente qui se nourrit de ce pouvoir qu'il exerce sur les autres. Le point de basculement se fait insidieux et doucement le texte fait glisser les personnages de témoins à complices.

La scénographie les installe tous dos au mur, comme s'ils n'avaient plus le choix que d'unir leur parole. 

Luc Cerutti met en scène la montée en violence du texte de Simon Diard. Basculant sans cesse entre rêve et réalité, passé et présent, les fantasmes se mêlent aux faits. La violence des actes s'accorde à la violence du jugement tout aussi destructeur. La souffrance de la victime est annihilée par un processus troublant que la mise en scène réussie à rendre palpable.

 Paranoid Paul (you stupid little dreamer), une dramaturgie puissante portée par des acteurs convaincants.

 

 © Pauline Le Goff

 

Paranoid Paul (you stupid little dreamer) de Simon Diard  aux Plateaux Sauvages jusqu'au 2 avril 
 
Théâtre de Chelles (77) : Le 5 avril 2022 
MAIF Social Club (75) :  Les 8 et 10 octobre 2022 
L’Avant Seine - Théâtre de Colombes (92) :  Le 2 décembre 2022 
 
Mise en scène : Luc Cerutti
Avec : Mathieu Lescop, Shannen Athiaro-Vidal, Amandine Doistau, Alice Jalleau, Anthony Martine, Adil Mekki, Etienne Thomas, Delphine Ory (voix de la mère de Paul)
Assistanat à la mise en scène : Delphine Ory
Création lumière et scénographie : Nicolas Marie 
Création musicale : Clément Ducol et Mathieu Lescop 
Mixage : Quentin Rochas
Stylisme  :Olivier Pourcin-Criscuolo
Construction décors : Les ateliers de la Comédie de Saint-Étienne