La porte d'Ensor de Marion Coutris et Serge Noyelle

 


Aussi originale que singulière, la dernière création du Théâtre des Calanques nous invite à un voyage imaginaire et imaginé dans l'univers inclassable du peintre belge James Ensor.
Serge Noyelle et Marion Coutris se saisissent de l'univers de l'artiste et déploient au plateau des images picturales à l’esthétisme puissant, hantées par la fantasmagorie des tableaux d'Ensor.
 

Au fond du plateau nu plongé dans l’obscurité, de cette porte immense, surgissent les comédiens. Le parquet craque sous leurs pas, la lumière pénètre la salle, le piano entonne sa mélodie. En un cortège macabre de figures angoissantes, les interprètes donnent corps aux personnages et font surgir toute la fulgurance d'un univers sombre où l’onirisme côtoie un grotesque omniprésent.

Les comédiens, Rémy Brès-Feuillet, Marion Coutris, Pascal Delalée, Nino Djerbir, Andrés García Martínez, Camille Noyelle, Hugo Olagnon, Leonardo Santini, Geneviève Sorin et Bellkacem Tir, déploient la théâtralité manifeste de ces compositions étranges. Les hommes travestis, cachés sous des masques ou figurés par des squelettes, dialoguent, s'invectivent dans cette mascarade fantasmée d'une comédie humaine aussi inquiétante que sublime.

Serge Noyelle et Marion Coutris s'emparent des obsessions du peintre sans jamais chercher à expliciter une intention. Suggérée, habitée, l'intensité des émotions suscitées s'exprime à travers des formes chorégraphiées, chantées. Une performance portée par la complémentarité des dix comédiens présents sur scène.

Accompagné à l’accordéon, le contre-ténor Rémy Brès-Feuillet berce la représentation d'une partition lyrique, une orchestration mélancolique d'un carnaval funeste à la festivité illusoire. Le danseur Andrés García Martínez en pantin décharné, derviche tourneur désarticulé, enveloppe de sa physionomie gracile et longiligne le ballet énigmatique. Baignés dans un halo de lumière qui, d’un clair-obscur inquiétant se teinte d’un rouge éclatant, les interprètes figurent cette ambivalence perpétuelle de notre humanité qui oscille entre rires et larmes, tristesse et joie, révolte et soumission. En une ronde infinie, les portraits s'animent, s'exposent, dans ces corps grimaçants qui, toujours un peu plus, entrouvrent la porte de l'équivoque.

Jusque dans les costumes au noir et blanc somptueux, à l'humilité des robes à fleurs démodées, la représentation figure l'univers du peintre qui s'attache à la peinture de ces petites gens qu'il transforme en figurants d’une société chaotique. Le masque, dans tout son paradoxe, dévoile les non-dits d'un inconscient prégnant, d'une hypocrisie morale et sociale, que le peintre transcende.
Les tableaux s'animent, s'articulent avec une fluidité limpide. Le beau et le bizarre se côtoient, à l’image des masques empruntés autant au folklore populaire qu’à la commedia dell’arte.
 
Déployant les tableaux de James Ensor en une matière vivante, palpable, la scénographie de Serge Noyelle et les intermèdes poétiques de Marion Coutris éclairent d'une dimension infinie notre perception.
Telle la mariée, incarnée par Camille Noyelle, dans son inquiétante noce funèbre, les personnages de James Ensor, sortent du cadre, animés alors d'une gestuelle troublante. Serge Noyelle et Marion Coutris libèrent l'Å“uvre de son carcan pour révéler toute la dramaturgie qui émane du trait de James Ensor. 
 
Serge Noyelle et Marion Coutris nous exhortent à porter notre regard plus loin.
La porte d’Ensor, performance à l'esthétisme saisissant, déploie des formes artistiques plurielles pour parler un langage universel, celui de l’art, qui peu importe sa forme, est lui seul capable d’énoncer une vérité inconsciente, de représenter nos rêves et nos illusions, de figurer nos désirs et nos angoisses.

 

 

La porte d'Ensor de Marion Coutris et Serge Noyelle jusqu'au 30 mars au Théâtre des Calanques.

Les représentations sont à prix libre et accessibles dès 1 euro.

Texte et dramaturgie: Marion Coutris
Mise en scène et scénographie : Serge Noyelle
Avec : Rémy Brès-Feuillet, Marion Coutris, Pascal Delalée, Nino Djerbir, Andrés García Martínez, Camille Noyelle, Hugo Olagnon, Leonardo Santini, Geneviève Sorin, Bellkacem Tir.
Lumières : Serge Noyelle & Cédric Cartaut
Vidéo : Cédric Cartaut
Son : Bastien Boni
Régie générale : Thibault Arragon de Combas
Composition musicale : Marco Quesada, Patrick Cascino et Purcell, Monteverdi, Haendel
Adaptation lyrique et accordéon : Rémy Brès-Feuillet 
Bande sonore : Patrick Cascino (piano), Didier Lévêque (accordéon), Magali Rubio (clarinette), Marco Quesada (guitare), Charly Thomas (contrebasse).
Co-production Théâtre des Calanques et Groupe 444,
soutien à la production Fransbrood Production (Gent)
 
Sophie Trommelen, vu le 22 mars 2024 au Théâtre des Calanques