Pauvre Bitos - Le dîner de têtes de Jean Anouilh m.e.s Thierry Harcourt

 


 

 

Thierry Harcourt a la bonne idée de mettre en scène la pièce de Jean Anouilh qui n'avait pas été montée depuis 1967, Pauvre Bitos, le dîner de têtes. Resserrant le texte, sans en amenuiser la férocité, Thierry Harcourt fait surgir toute la puissance de sa théâtralité.

Nous sommes en 1955. Un groupe d'amis décide de donner une bonne leçon à Bitos, ancien camarade de classe devenu substitut du procureur de la République et qui s'évertue avec une cruelle application à pourchasser et condamner toute personne suspectée de collaboration. La leçon prend alors la forme d'un repas, un dîner de têtes, dans lequel les convives se griment du visage d'un personnage de la révolution. Bitos sera Robespierre et autour de lui évolueront Marie-Antoinette, Lucile et Camille Desmoulins, Danton, Mirabeau et Saint-Just. Les convives font alors revivre les débats houleux, comment ne pas penser à la mort de Danton de Georg Büchner, qui animèrent Danton et Robespierre. Dans une subtile mise en abîme, Jean Anouilh met en parallèle deux périodes de l'histoire de France qui ont été marquées du sceau de la terreur.

La farce va pourtant tourner court. Victimes et bourreaux se confondent dans une frontière de plus en plus ténue. Tous semblent se fourvoyer dans la noirceur de leurs âmes, animé chacun par un désir de vengeance et une cruauté sans fond. La frustration, le mépris de classe, le pire de l'humanité surgit sous des ressorts comiques qui désacralisent tout espoir de bonnes intentions.

Les costumes de David Belugou, les décors de Jean-Michel Adam et les lumières de Laurent Béal magnifient la mise en scène qui contraste alors habilement avec la noirceur du propos. Thierry Harcourt fait du théâtre dans le théâtre le personnage central de son adaptation et déploie toute sa force aussi tragique que comique qui permet de figurer les situations les plus obscures sans chercher à les absoudre. Dans un formidable esprit de troupe, les comédiens, Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Etienne Ménard, Adina Cartianu, Clara Huet et Sybille Montagne portent avec un vrai sens du jeu l'humour grinçant qui anime chacune des répliques.

Loin de toute complaisance, Pauvre Bitos dénonce les dangers de la tyrannie qui sous des prétextes fallacieux s’élève en voix de la vertu. Thierry Harcourt figure avec une subtile clarté la complexité de l'Histoire, miroir de notre humanité.
Sans chercher à affirmer à tout prix la résonance contemporaine de la pièce, ou à intellectualiser un propos qui se suffit à lui-même, Thierry Harcourt s'attache à la théâtralité du texte et subtilement, sur le ton du divertissement, nous entraine dans la farce acerbe.





Pauvre Bitos - Le dîner de têtes, une pièce de Jean Anouilh en collaboration avec Nicole Anouilh au Théâtre Hébertot

Mise en scène : Thierry Harcourt
Avec : Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Etienne Ménard, Adina Cartianu, Clara Huet et Sybille Montagne
Décors : Jean-Michel Adam
Lumières : Laurent Béal
Costumes : David Belugou
Musiques : Tazio Caputo
Assistante mise en scène : Clara Huet
Une coproduction Théâtre Hébertot, Atelier Théâtre Actuel, Canal33-Le Brigadier, Studio Fact Live, MK Prod’
Portraits et photos de scène :  Bernard Richebé
 
Sophie Trommelen, vu le 14 février 2024 au Théâtre Hébertot