Décortiquant les éléments de langage qui façonnent notre société, Sébastien Bizeau transpose la tragédie d'Électre dans un monde contemporain où le discours a remplacé les armes.Un véritable travail de réécriture du mythe qui s'inspire de l'Électre de Giraudoux qui déjà bouleversait de ses anachronismes la tragédie antique.
Électre rend visite à sa mère Clytemnestre hospitalisée et plongée dans un coma artificiel. Son frère Oreste, conseillé dans un cabinet ministériel, ne veut rien entendre de la quête d'Électre pour connaitre la vérité sur l'assassinat de son père, Agamemnon. Le déni du frère, trop occupé à écrire les discours fallacieux de son ministre, fait face à la volonté intarissable d'Électre de faire parler les fantômes du passé.
Pylade, cousin et fidèle ami d'Oreste, Égisthe toujours chef mais de
brigade dans son restaurant étoilé d'Argos et le ministre et son
assistante viennent compléter le tableau des personnages. Des personnages qui tous manient avec virtuosité la langue de bois pour se protéger d'une vérité qui ébranlerait leur statut. Emmanuel Gaury, Matthieu Le Goaster, Paul Martin, Cindy Spath et Maou Tulissi investissent le mythe d'une fluidité sans failles et d'une ironie réjouissante.
Mettant à mal le discours d'une politique déconnectée, dialectique perverse qui vide les mots de leur sens, Sébastien Bizeau fustige les technocrates prêts à tout pour préserver leur image et leur statut.
Les codes langagiers politiciens, religieux ou médicaux sont ici décortiqués dans une mise en scène subtile qui confond en ridicule le langage formaté de ceux qui en font un pouvoir.
La manipulation langagière et les tactiques didactiques se nouent dans les tournures de phrases, joutes oratoires d'un temps nouveau.
Tel le ministre qui ne recule devant rien pour se dédouaner de promesses non tenues, chacun se défile derrière l'illusion du verbe bien tourné.
Sébastien Bizeau crée un théâtre de la parole qui se transmet entre les comédiens, comme s'ils se passaient le bâton pour sombrer toujours plus loin dans le mensonge. Rebondissant sur la dernière réplique énoncée, les acteurs se lancent dans une ronde langagière qui dénonce chaque fois un peu plus l'usage pervers du langage.
Les mots disent tout, sauf la vérité.
Heureux les orphelins confronte la soif de vérité d'Électre à un entourage qui préfère se conforter dans ses positions. La sincérité de la jeune femme se fait le symbole d'une liberté que tous autour démontent à coup de novlangue artificielle et de rhétorique bien huilée.
La violence ne coule plus dans le sang mais dans une parole trompeuse et mesquine qui préserve un système inébranlable.
Sébastien Bizeau capte la tragédie dans ce qu'elle a à la fois d'intime et politique. Porté par des comédiens au talent remarquable, Heureux les orphelins décortique la puissance du langage. Un propos captivant qui s'éclaire d'un sens aigu de la théâtralité.
Heureux les Orphelins de Sébastien Bizeau au Théâtre des Gémeaux dans le cadre du Festival OFF d'Avignon 2024