Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge de Wajdi Mouawad


La pièce commence par une véritable scène de concert : musique live, lumières, riff, fosse en délire. Alice et ses musiciens sont sur scène. Le spectateur assiste depuis les coulisses au dernier rappel d'un chanteur épuisé.
Alice, incarné par Arthur H, est pris entre son public pour lequel il chante et la salle de La Colline pour laquelle il joue.
Le spectateur devient lui aussi miroir de sa condition dans une mise en abyme, immergé dans la reconstitution de ce live, véritable spectacle musical à la scénographie réussie.

Dans Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge, Wajdi Mouawad nous donne à voir le hors-champs, les coulisses de la scène, les doutes et l'usure d'un artiste au sommet de sa gloire.
De retour dans les backstages, ce qui se joue sur scène contraste avec le calme des artistes dans les loges. Montagne russe des émotions qui oscillent entre euphorie et mélancolie, entre très haut et très bas. En pleine descente, l'artiste angoisse et se perd.

Entouré d'un journaliste, d'un photographe, de son attaché de presse, le chanteur populaire dans la force de l'âge ne sait plus qui il est devenu. Est-il la machine à réussir que ces professionnels ont fait de lui ? A-t-il renoncé à ses rêves pour en arriver là, que sont devenues ses convictions ?
Peut-être alors que la seule solution pour retrouver l'apaisement est de tuer l'homme médiatique pour retrouver l'artiste.

Le suicide médiatique est ici le rêve de l'homme qui s'est perdu en route et ne distingue plus le moi dans son image.
La distance est sans cesse matérialisée par un rideau transparent, de fer ou de pluie. Tous ces voiles qui se sont installés entre l'homme et l'artiste font que la distance devient distorsion.

Véritable satire du monde de la variété, Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge est avant tout la rencontre de deux figures du spectacle vivant. Arthur H et Wajdi Mouawad sont deux hommes de scène, de textes, et d'un style sans concession.
L'intention est vive et narre l'angoisse de la création et de la peur du vide artistique qui se crée quand le succès l'emporte sur la création et l'engagement.

Gilles David, Isabelle Lafon, Sara LLorca et Marie-Josée Bastien entoure solidement Arthur H dans ce feuilleton Mouawadien, traversée du désert de l'artiste qui ressuscite de ses cendres.
Dans la deuxième partie, la résurrection d'Alice revêt alors des allures de farce.
L'épopée se fait onirique. Les symboles affluent et contrastent avec le réalisme de la première partie. La lassitude de l'artiste fait place à la quête spirituelle.
Alors, rien que pour le plaisir de voir Isabelle Lafon en autruche sortie tout droit d'un rite chamanique, on remercie Wajdi Mouawad de nous entrainer aussi loin dans sa 'machine théâtrale'.

Véritable tragi-comédie, Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge est avant tout du grand spectacle vivant, la scénographie prend toute sa dimension sur l'immense plateau du théâtre de La Colline.
Réalité, romanesque et onirisme forment un mélange hétérogène, à l'image de nos doutes et du désordre de la vie.




A La Colline, Théâtre National, jusqu'au 29 décembre 2019.

Un spectacle d’Arthur H et Wajdi Mouawad
texte et mise en scène Wajdi Mouawad
avec: Marie‑Josée Bastien ou Linda Laplante, Gilles David de la Comédie-Française, Arthur Higelin, Pascal Humbert, Isabelle Lafon, Jocelyn Lagarrigue, Patrick Le Mauff, Sara Llorca
chansons originales: Arthur H
musique originale: Pascal Humbert
assistanat à la mise en scène: Valérie Nègre
dramaturgie Charlotte: Farcet
conseil artistique: François Ismert
son: Michel Maurer et Bernard Vallèry
scénographie: Emmanuel Clolus
lumières: Eric Champoux
costumes: Emmanuelle Thomas assistée d'Isabelle Flosi
maquillage, coiffure: Cécile Kretschmar assistée de Juliette Bailly et Judith Scotto
couturière: Anne-Emmanuelle Pradier accessoires Eric Blanchard
suivi du texte: Marie Demesy coach Cyril Anrep


Vu le 17 novembre 2019 à La Colline, Théâtre National