En s'attachant au quinzième volume de la série des Rougon-Macquart, La Terre, Anne Barbot continue son exploration théâtrale de l'univers d'Émile Zola initiée par son adaptation de l'Assommoir, le Baiser comme une première chute.
Le travail de réécriture d'Anne Barbot fascine. Avec une fluidité captivante, elle concentre et compose une adaptation du roman qui jamais ne dénature l'essence même du style naturaliste et de l'intention quasi journalistique de l'écrivain. Si la multitude des personnages est ici recentrée sur les caractères principaux de la famille Fouan, Anne Barbot saisit l'essentiel de l'évocation de Zola. Subtilement, Delhomme, le beau frère, l'homme à lunettes, incarne aussi le personnage du maire et de l'huissier. Il est l’homme des actes, des arrêtés, et plus généralement incarne tous les symboles d'une administration qui couche l'encre sur le papier, face aux paysans qui manient la faux à la sueur de leur front.
Au son de l'accordéon, aussi festif que mélancolique, les comédiens s'emparent du plateau avec un naturel puissant et restituent toute la complexité de ces caractères endurcis par le travail acharné. Le père Fouan - Philippe Bérodot, la fratrie - Benoît Dallongeville, Ghislain Decléty et Sonia Georges, les deux nièces - Rebecca Finet et Milla Agid, le beau frère - Benoît Carré et Jean Macquart - Wadih Cormier, composent le tableau d'un monde paysan à bout de souffle. Les comédiens, dont Benoît Dallongeville qui accompagnait déjà Anne Barbot dans Humiliés et Offensés et le Baiser comme une première chute, s'emparent avec prégnance de l'ambivalence de ces personnages qui oscillent entre une bonhomie joviale et une cruauté effroyable.
De ce quotidien abrupt d'une fratrie gangrénée par les privations, Anne Barbot déploie les images du roman d'un réalisme saisissant. Sans pour autant atténuer la noirceur du texte dont elle révèle toute la brutalité, Anne Barbot s'affranchit de tous les passages les plus sordides pour véritablement amener son propos sur la crise que le monde rural subit inexorablement depuis des siècles. Si l'adaptation fait surgir toute la contemporanéité du texte, c'est surtout la perdurance d’un quotidien âpre et éprouvant qui frappe les consciences. Les thèmes de la grande propriété et de l'industrialisation contre la petite paysannerie, l'importation de produits étrangers qui entraine la chute des prix, éclairent les conditions d'un monde en asphyxie et qui, 150 ans après, continue d'être broyé par la machine politique.
Crédit photo : Simon Gosselin
La Terre d'après Émile Zola mise en scène d'Anne Barbot au Théâtre Gérard Philippe, centre national dramatique de Saint-Denis jusqu'au 21 mars 2024
Production Compagnie NAR6.
Coproduction Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis ; Le Nest – centre dramatique national de Thionville ; Théâtre Romain Rolland – scène conventionnée, Villejuif ; Les Passerelles – scène de Paris-Vallée de la Marne, Pontault-Combault ; EMC91 – Saint-Michel-sur-Orge ; Fontenay-en-Scènes, Fontenay-sous-Bois. Avec le soutien du ministère de la Culture (DRAC Île-de-France).
La compagnie NAR6 est conventionnée par le Conseil départemental du Val-de-Marne et reçoit l’aide à la permanence artistique et culturelle de la Région Île-de-France.
La compagnie NAR6 remercie toutes les agricultrices et tous les agriculteurs rencontrés au cours de sa recherche.
Sophie Trommelen, vu le 10 mars 2024 au TGP.
