La Vie est une Fête des Chiens de Navarre

 

 

Le théâtre, transformé en séance de l'Assemblée nationale où sur la scène trône son président, accueille les spectateurs. Le débat houleux caricature la langue de bois des politiciens et les comédiens députés s'invectivent jusque dans le public. L’entrée en matière, et dans la salle, vive et surprenante, prend le public à parti et le plonge d'emblée dans l'humour acerbe qui fait la marque de fabrique des Chiens de Navarre.
 
Le rideau tombe et s'ouvre alors sur un décor d’hôpital psychiatrique vétuste. La transition est abrupte et en dit long sur ce à quoi on vient d'assister.
La folie n'est peut-être pas là où on le croit !
Le décor sert surtout de prétexte, Les Chiens de Navarre ne cherchent pas à faire le constat de l’hôpital public, ici l’hôpital psychiatrique se fait le symbole plus vaste de nos névroses et d'un état du monde déprimant. Au-delà d'ailleurs d'un constat politique c'est surtout le manque d'humanité ambiant que le collectif joue sur scène.
Un monde peu généreux qui est ici tourné en dérision et qui se fait le révélateur d'une angoisse inter-générationnelle.
 
Les saynètes s’enchainent entre cynisme et ironie, s'appuyant sur une novlangue ridiculisée et mise à mal. Les Chiens de Navarre dénoncent l’esprit club meb, chevillé au corps, de ceux qui véhiculent cette fausse ambiance de décontraction, vendue dans tous les milieux. La communication bienveillante de l'entreprise ou des médias cache surtout la violence d'un discours généralisé, incarné ici par une demande permanente de perfection qui annihile nos âmes désormais plongées dans cette ultra-moderne solitude.
Boomer, femmes proches de la cinquantaine ne s'y retrouvent plus. La mélancolie de ces âmes qui n'entrent pas dans le moule aseptisé de la société, à qui l'on vend, ici une préretraite, ou là de la chirurgie esthétique, se retrouvent perdues, déprimées. Des âmes pourtant juste en quête d'un peu de tendresse.
 
Les Chiens de Navarre mettent en scène le miroir de notre société dans laquelle le modernisme est surtout synonyme d’hypocrisie agressive. Le burlesque de la mise en scène se teinte de douce mélancolie quand les chansons de Christophe, les Paradis Perdus ou les Mots Bleus résonnent dans la salle.
Ici le monde n'est pas So Happy Together comme nous le chantent les Turtles, mais est bien déséquilibré et angoissant comme nous le dessine Jean-Christophe Meurisse.
 
S'appuyant sur un humour moqueur, où les passages plus gores en disent long sur la délicatesse de notre société, les Chiens de Navarre ironisent sur ce monde qui voudrait nous faire croire à l'obsolescence programmée de nos existences, une société anxiogène où la fragilité et la sensibilité ne susciteraient plus l'attraction.
La Vie est une Fête a l'intelligence d'un propos réaliste, alors beaucoup moins violent que le monde qui nous entoure.
 
Jean- Christophe Meurisse et Les Chiens de Navarre décomplexent nos anxiétés et nos angoisses. Véritable thérapie salvatrice, la représentation capte avec un humour détonnant le malaise ambiant d'une société qui voudrait faire de nous des êtres compétitifs et ambitieux.
Les chiens de Navarre trouvent le parfait équilibre entre un savoureux mélange d'exagérations scéniques et la justesse d'un propos généreux.
Un spectacle qui fait du bien et nous réconcilie avec nos fêlures.
Un joyeux bordel réconfortant.



Photos : Philippe Lebruman

La vie est une Fête jusqu'au 3 juin 2023  au Théâtre des Bouffes du Bord
 
Mise en scène : Jean-Christophe Meurisse
Collaboration artistique : Amélie Philippe
Avec : Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch et Bernie
Scénographie, décors et construction : François Gauthier-Lafaye
Régie générale et plateau : Nicolas Guellier
Création et régie lumière : Stéphane Lebaleur
Création et régie son : Pierre Routin
Création et régie costumes : Sophie Rossignol
Machiniste : Augustin Grenier
Production : Antoine Blesson, Jason Abajo et Marianne Mouzet
Chargée de figuration : Alexandra Pradier 
Production : Chiens de Navarre Coproduction Les Nuits de Fourvière – Festival international de la Métropole de Lyon ; La Villette – Paris ; MC2 : Maisons de la Culture de Grenoble ; Le Volcan scène nationale du Havre ; TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers ; Teatros del Canal – Madrid ; Le Quartz scène nationale de Brest ; MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis ; La Rose des Vents scène nationale de Villeneuve d’Ascq ; Scène nationale Carré-Colonnes - Bordeaux Métropole ; Les Salins scène nationale de Martigues ; Le Manège scène nationale de Maubeuge ; Château Rouge scène conventionnée d’Annemasse ; La Comète scène nationale de Châlons-en-Champagne ; L’Onde Théâtre Centre d’art de Vélizy-Villacoublay
Avec le soutien du Théâtre des Bouffes du Nord, de la Ferme du Buisson scène nationale de Marne-la-Vallée et de la Maison des Arts de Créteil.
La Compagnie Les Chiens de Navarre est soutenue par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture et la Région Île-de-France au titre de la Permanence Artistique et Culturelle. 

Sophie Trommelen, vu le 15 décembre 2022 à la MC93 - Maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny.