Vernon Subutex 1 de Virginie Despentes m.e.s Thomas Ostermeier

 

 

Thomas Ostermeier s'empare du premier tome de la trilogie de Virginie Despentes, et capte toute la musicalité et l'univers punk-rock du roman.

Un échafaudage surplombe la scène. La structure évolue sur un plateau qui tourne sur lui-meme comme entrainé par la spirale de la chute lente et inexorable du héros, Vernon Subutex. Sur une multitude d'écrans entreposés, les vidéos de Sébastien Dupouey défilent, images saturées de la vie parisienne, ses manifs, ses trottoirs, sa vie nocturne. Défilent aussi entre deux scènes les musiciens dont le rock live électrise le décor. 

Le tome 1 raconte la dégringolade sociale de Vernon Subutex. La fermeture de son magasin de disque, Revolver, l’entraine dans une spirale infernale, celle du chômage, du RSA, des huissiers puis de la rue. Des amis, il lui en reste. Va se dessiner alors une myriade de personnages vers qui il va se tourner. Sur le chemin d'une errance entre squattages de canapés et porches d'immeubles, les retrouvailles et les rencontres s’enchainent : ex petite amies, ex potes devenus pères et mères de famille, ou pas, ex star du porno, lesbiennes et transsexuels, traders...

La richesse des personnages, qui ne sont pas simplement juxtaposés, constitue un tout, une image, une vue d'ensemble de cette société multiple.
Ces figures qui gravitent autour de Subutex, Thomas Ostermeier les fait s'exprimer dans un mouvement qui oscille entre adresse directe et dialogue. Ce parti pris permet d'exulter toute l'ambivalence de leur attitude.
Chacun va alors s'extraire dans un monologue intense. La sincérité des propos des personnages lorsqu’ils se livrent au public dans ces apartés, disparait lorsqu'ils replongent dans le dialogue du plateau.
A l'intime de la pensée s'opposent tous les non-dits, les filtres que l'on s'impose à tord ou à raison.
 
Les personnages, portés par les comédiens de la Schaubühne, sont en conflit avec la société mais aussi avec leur entourage, avec eux même. Les dialogues se font dissonants, discordants, selon à qui ils s'adressent.
L'amertume d’Émilie, les ressentiments de Sarah, l'aigreur de Xavier, l’ironie acerbe de Kiko, les combats de Marcia, la lucidité de Paloma, la colère d'Aïcha et la violence de Patrice, s’unissent dans une parole plurielle et réaliste.
Tous ont leur mot à dire et une place pour le faire.
Chacun apporte sa part de récit et constitue cet univers de backstage à la Despentes.
 
Inévitablement surgit alors à la pensée, les mots qui introduisent sa King Kong théorie 'J’écris de chez les moches, pour les moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf, aussi bien que pour les hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ceux qui voudraient l’être mais ne savent pas s’y prendre, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés'.
 
Car c'est ce souffle de Despentes qu'Ostemeirer capte, une colère qui exulte à travers une ironie glaçante.
L'idée d'un c'était mieux avant qui émerge de la pièce n'est pas un simple jugement personnel, si les choses ont changé, c'est bien à cause la crise, la crise qui broie les espoirs et engendre un état d'urgence social.
 
Thomas Ostermeier dans une scénographie imposante édifie l'atmosphère de la vie underground parisienne des années 80-90.
Ostemeier construit une dramaturgie et une mise en scène aboutie et exulte toute la colère de ces portraits souvent invisibilisés qui ici existent, subsistent et galèrent.
L'amitié, le ressenti amoureux, le couple et la famille sont mis à mal.
Le message est abrupte mais limpide. Oui nous sommes incohérents contradictoires, mais ces défaillances forment le ciment brut d'une société multiple invisibilisée et fatiguée.

 
 

Vernon Subutex 1 de Virginie Despentes mise en scène de  Thomas Ostermeier à l'Odéon, Théâtre de l'Europe

avec Thomas Bading, Holger Bülow, Stephanie Eidt, Henri Maximilian Jakobs, Joachim Meyerhoff, Bastian Reiber, Ruth Rosenfeld, Julia Schubert, Hêvîn Tekin, Mano Thiravong, Axel Wandtke, et Blade AliMBaye (en vidéo) et les musiciens Henri Maximilian Jakobs, Ruth Rosenfeld, Taylor Savvy, Thomas Witte

adaptation : Florian Borchmeyer, Bettina Ehrlich, Thomas Ostermeier 
traduction du français : Claudia Steinitz 
scénographie / costumes : Nina Wetzel 
vidéo : Sébastien Dupouey
musique : Nils Ostendorf 
dramaturgie : Bettina Ehrlich 
lumière : Erich Schneider 
production la Schaubühne – Berlin coproduction Théâtre national croate – Zagreb avec le soutien du Goethe-Institut 
 
Sophie Trommelen, vu le 18 juin à l'Odéon, Théâtre de l'Europe