La Loi du marcheur de Nicolas Bouchaud

 

 

Nicolas Bouchaud adapte pour la scène les entretiens de Serge Daney avec Régis Debray enregistrés en 1992, quelques semaines avant son décès. Un Testament précieux de celui qui fut le rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma dans les années 1970, puis chroniqueur au quotidien Libération, et le fondateur de la revue Trafic.

En un monologue passionnant, Nicolas Bouchaud déploie le témoignage de Serge Daney qui d'anecdotes en anecdotes tisse une histoire du cinéma de l'après-guerre. En filigrane aussi s'esquisse une définition de la vocation de critique qui se fait alors le passeur d'un geste artistique qu'il éclaire de son regard affûté. Psychanalyste de notre expérience de spectateur, Serge Daney touche au plus juste de ce qu'incarne le 7ème art, puissance créatrice capable de transcender une expérience individuelle en un être au monde inclusif. Promesses d'univers à découvrir, d'un monde ouvert, accessible, le cinéma fait de nous les citoyens du monde présent, passé ou en devenir.

Accompagné d'Éric Didry et de Véronique Timsit, en spectateur fasciné, Nicolas Bouchaud adapte autant la parole du critique qu'il figure l'impact fulgurant du temps de la pellicule. Rejouant avec John Wahne et Dean Martin en toile de fond les scènes de Rio Bravo d'Howard Hawk, donnant la réplique à Angie Dickinson, Nicolas Bouchaud délivre un vibrant hommage au pouvoir de l'image. Allant jusqu’à rompre le quatrième mur, Nicolas Bouchaud interroge notre expérience de spectateur, éveillant nos réminiscences cinématographiques comme autant d'instants précieux, toujours liés à un souvenir contextualisable. Le cinéma nous regarde, lui-même témoin de nos émotions, de notre regard changeant, évoluant au fil des époques dans une temporalité jamais figée.

Nicolas Bouchaud transmet une réflexion étonnamment moderne quand elle déconstruit la place de la télévision qui rompt complètement avec l'acte artistique. Loin d'être élitiste le cinéma se veut intrinsèquement sincère et personnel, vecteur d'une singularité qui s'éloigne de la grammaire simpliste de la télévision, machine médiatique au discours consensuel. Serge Daney fustige le formatage de la pensée que le critique compare à un catéchisme religieux codé loin de toute théologie réflexive. 

Stimulante, la parole circule, vibrante. La transcription de l'Itinéraire d’un ciné-fils figure la nécessité de l'art, fondateur dans la construction de notre conscience de citoyen. Incapable d’empêcher le cours de l'histoire, l'art n'en reste pas moins le témoin tangible d'une mémoire substantielle. Magistral, Nicolas Bouchaud s'empare de la parole de Serge Daney, une pensée en mouvement foisonnante, profondément intelligente, tellement limpide et cohérente qu'elle se déploie comme autant d'évidences qui palpitent en nous.



Photo Brigitte Enguerand 

La Loi du marcheur Un projet de Nicolas Bouchaud au Théâtre de la Bastille jusqu'au 29 mai 2024

d’après Serge Daney - Itinéraire d’un ciné-fils, entretiens réalisés par Régis Debray, un film de Pierre-André Boutang et Dominique Rabourdin
Mise en scène : Éric Didry
Avec : Nicolas Bouchaud
Collaboration artistique : Véronique Timsit
Lumière Philippe Berthomé
Scénographie : Élise Capdenat
Son : Manuel Coursin
Régie générale : Ronan Cahoreau-Gallier
Vidéo :  Romain Tanguy et Quentin Vigier
Stagiaires : Margaux Eskenazi et Hawa Kone Production OTTO productions et Théâtre Garonne - Scène européenne

Coproduction Théâtre du Rond-Point - le Rond-Point des tournées, Théâtre de la Cité - Centre dramatique national Toulouse Occitanie, Cie Italienne avec Orchestre et Festival d’Automne à Paris 

Sophie Trommelen, vu le 4 mai 2024 au Théâtre de la Bastille