Bête Noire de Sarah Blamont

 

 
 
C'est par la porte du fait divers que Bête Noire nous fait entrer dans le village de Vezin, un petit village de France parmi tant d'autres.
Nous sommes le 14 juillet, soir de bal au village, soir de tragédie.
Cette tragédie qui s'écrit sur quelques lignes de la rubrique faits divers d'un journal, c'est la mort de Jésus Badin, l'étranger, l'autre, assassiné et retrouvé mort dans un tas de fumier.
 
De ce fait divers, le texte de Sarah Blamont et la mise en scène de Jérôme Fauvel en font le reflet d'une vérité plus vaste qui dépasse la singularité du fait et s'interroge sur une réalité plus sombre.
 
Dans ce village de Vezin s'est installée la famille Badin. Pourtant sédentarisée dans le village depuis trois générations, la famille reste stigmatisée car issue de la communauté des gens du voyage.
Cette non-assimilation est appuyée par l’expérience du boucher qui, venant pourtant du village voisin, a du mal à s'implanter et sent, malgré sa proximité, un rejet contre lequel il ne peut rien.
Sarah Blamont et Jérôme Fauvel ouvrent les portes du questionnement. En donnant la parole aux habitants du village, Bête Noire ouvre la parole et laisse s'exprimer les non-dits et les aveux intransigeants.
 
Jérôme Fauvel, seul en scène, enchaîne les témoignages et dessine peu à peu le contexte du crime commis. Jésus Badin, l’assassiné, c'était l'autre, le différent, le parasite, nuisible à l'équilibre de cette vie de village qui rejette l'inconnu.
De fil en aiguille il semble que 'cet emmerdeur, ce chercheur d’histoire', méritait son sort. Le village fait corps malgré l'horreur.
 
Jérôme Fauvel fait monter la tension crescendo. Après avoir présenté le contexte, comme dans un jeu de piste, il reconstitue alors la chronologie des événements en se plongeant dans la peau des personnages présents ce soir-là. A travers les interviews de chacun des protagonistes se dessine la puissance de l'entre soi, une solidarité qui s'allie contre celui qui n'appartient pas au groupe.
 
La mise en scène recrée cet esprit de la vie de village et toute l'effervescence de ce soir de bal. La musique festive et dissonante, les lumières stroboscopiques nous entraînent dans les effluves de l'alcool montant et des tensions qui animent les fins de ces bals populaires.
Ce soir le pire arrivera.
 
Jérôme Fauvel, magistral, se plonge dans ces personnages sans jamais influencer ni imposer un jugement. Il pose des caractères, des faits et nous donne à voir la triste réalité d'un fonctionnement communautaire, exigu, et enclin au rejet facile et unanime de celui qui dérange.
 
D'un fait réel le texte crée un conte sombre dans lequel l'étranger, de par sa différence, devient la bête noire du village et mérite ce sort qui lui est alors dévolu.
La force de la représentation est de ne pas imposer de réponses toutes faites. Ni manichéen, ni manipulateur, le texte, honnête, s’interroge autant qu'il nous interpelle.
 
Dans une mise en scène subtile Bête Noire reconstitue le fait divers sans positionnement.
Le factuel explique l'indicible, ce mythe trop vivace qui injustement fait de l'étranger un parasite. 
 
Jérôme Fauvel sans faillir porte un texte fort et intelligemment construit. 
 
 

 
 
Bête Noire de Sarah Blamont 
Mise en scène : Jérôme Fauvel 
Avec : Jérôme Fauvel
Collaboratrice artistique : Ariane Heuzé
Concepteur son : Raphaël Barani
Conception costume : Floriane Gaudin
Scénographie : Gala Ogbidene
Lumières : Arthur Gueydan