Le Tartuffe de Molière mise en scène de Serge Noyelle

 

 

Après une tournée en Chine, accueillie pour huit représentations exceptionnelles à Pekin, Shangaï et Chendgu, la nouvelle production du Théâtre des Calanques revient dans le magnifique écrin de bois de son théâtre éponyme à Marseille. Le metteur en scène et co-directeur avec Marion Coutris du Théâtre des Calanques, Serge Noyelle, s'attache au répertoire de Molière et monte la pièce la plus controversée en son temps, Le Tartuffe.

Serge Noyelle et Marion Coutris déploient la satire de Molière en s'attachant à l’éclatement de la cellule familiale qui ne résiste pas à la fourberie de Tartuffe.Tartuffe est ici le trouble fait, l'élément déclencheur d'une dramaturgie qui place les rapports familiaux au centre de son propos. Marion Coutris, dramaturge et comédienne, saisit tout l'enjeu de la comédie qui dénonce les dangers du fanatisme non pas seulement par le biais de la tyrannie de celui qui l'initie, mais par l'égarement de celui qui y succombe.

La scène d’exposition pose d'emblée l'enjeu de ce qui se noue tout au long des cinq actes. Tous les jeunes personnages qui évoluent nonchalants sont interrompus par l'entrée fracassante de Madame Pernelle. Dans son costume pastel étriqué, Marion Coutris incarne alors tout le despotisme d'une vieille bourgeoisie bouffie de principes et bride une jeunesse emplie de l’insouciance de son âge. Autoritaire, elle dénigre un à un ses petits-enfants, sa jeune belle-fille et son frère. Son discours médisant s'anime d'un sentiment de piété qui réfute toute tolérance et compréhension. Marion Coutris rend son panache à ce personnage qui ici prend toute son ampleur, et assoit le contexte du drame derrière la comédie. L'attitude tyrannique de Madame Pernelle explicite le terreau fertile qui permet à Tartuffe de s’imposer en toute liberté en directeur de conscience dans la maisonnée.
Subtilement la scène d’exposition introduit ainsi l'apparition d'Orgon à la fin de l'acte I et de Tartuffe à l'acte III. Personnages centraux, ils deviennent ici le fruit d'un environnement favorable pour l'un au déni, pour l'autre à l'imposture.
 
L’apparition de Tartuffe crée la surprise en dépassant l'image du vieux Tartuffe à l'allure repoussante, ici le corps parle autant que le discours. Lucas Bonetti incarne un Tartuffe bien au fait du pouvoir de séduction de sa personne. Jeune, beau, avide et gourmand, le personnage de Tartuffe de Serge Noyelle dépasse l'imposture religieuse pour dessiner le portrait d'un homme manipulateur qui adapte son discours et son attitude à sa proie. Nino Djerbir et Lucas Bonetti nourrissent les ressorts de la comédie acerbe. Avec un sens du jeu captivant, Nino Djerbir fait surgir toute l'ambivalence d'Orgon, aussi enthousiaste que naïf, abusé par la malveillance d'un homme qui a bien cerné le désir contrarié de son hôte. Coincé entre une mère castratrice et sa femme plus proche de ses enfants que de lui, Orgon ne demande qu'à se laisser séduire par le discours trompeur de Tartuffe.
Dorine n'a alors de cesse de dénoncer les dangers qui menacent le huis clos familial. Jeanne Noyelle a la fureur de la clairvoyance de son personnage, et, parée de son angélique costume, tente sans répit d'éclairer de sa lucidité l'aveuglement d'Orgon.
 
Les comédiens Nino Djerbir, Lucas Bonetti, Guilhem Saly, Louison Bergman, Romain Noury, Robin Mannella, Camille Noyelle, Marion Coutris, Jeanne Noyelle et Julien Florès se partagent la distribution dans un équilibre constant. Toujours en mouvement, occupants tout l'espace scénique, les comédiens figurent la distance et la proximité qui animent les relations entre les personnages qui gravitent autour de la table qui trône sur la scène, promesse d'un dîner impossible, d'une conciliation insoluble.
Le plateau, d'un blanc immaculé, capte les couleurs des costumes des personnages, des couleurs qui oscillent entre complémentarités et oppositions. La scénographie, à travers un jeu de contrastes à l'esthétisme quasi-graphique, figure les duos et les duels qui se nouent et se dénouent entre clairvoyance et fourvoiement.
 
Fureur, colère et incompréhension nourrissent ici les dialogues. La parole circule se cognant sans cesse aux murs d'incompréhension d'une famille disloquée. La vérité se heurte au discrédit, les faits au déni. Subtilement, l'adaptation de Serge Noyelle et de Marion Coutris décortique le mécanisme de l'emprise. Il est ici moins question de l'hypocrisie d’un homme que de la faiblesse d’un autre.
Portée par un esprit de troupe communicatif et une énergie sans cesse au service de la théâtralité, l’adaptation réussit son pari. Serge Noyelle porte un regard neuf sur une pièce qui n'a de cesse de révéler sa richesse.



Crédit photos : Cordula Treml

Le Tartuffe de Molière mise en scène de Serge Noyelle jusqu'au 3 février 2024 au Théâtre des Calanques à Marseille.

Mise en scène : Serge Noyelle
Dramaturgie : Marion Coutris 
Avec : Nino Djerbir (Orgon), Lucas Bonetti (Tartuffe), Guilhem Saly (Cléante), Louison Bergman (Mariane), Romain Noury(Damis), Robin Mannella (Valère), Camille Noyelle (Elmire), Marion Coutris (Madame Pernelle), Jeanne Noyelle (Dorine), Julien Florès (Monsieur loyal & Flipote)
Scénographie Serge Noyelle & Marion Coutris
Régisseur général : Bernard Faradji
Régisseur lumière :Richard Psourtseff
Régisseuse plateau : Louna Boissaye
Direction de production : Benoit Kasolter
Chargé de production : Martin Martinez
Production :  Théâtre des Calanques
 
Sophie Trommelen, vu le 26 janvier 2024 au Théâtre des Calanques.