Poil de Carotte, Poil de Carotte de Flavien Bellec et Étienne Blanc

 


Pour seuls accessoires, deux chaises, deux bouteilles d'eau, le journal intime de Jules Renard et une perruque rousse, trônent sur le plateau nu. Un rétroprojecteur, un ordinateur posés à même la scène, viennent compléter le dispositif.
Solal Forte, seul en scène, commence ce que l'on croit être son adaptation de Jules Renard, Poil de carotte. Mais la représentation bascule.

L'entrée en scène d'un second personnage qu'augurait la chaise vide en face de lui déplace la représentation. Le spectacle se détache alors de l'adaptation formelle pour subtilement rejouer la situation de violence insidieuse que subit Poil de Carotte dans le roman de Jules Renard. Solal Forte devient le souffre-douleur de son comparse, et, dans un dialogue aussi perturbant dans son agressivité sournoise que déstabilisant dans son intensité, les deux acteurs reproduisent le nœud dramaturgique du roman qu'ils adaptent au monde du théâtre et de l'art.

Placé dans une situation inconfortable, le spectateur est pris à partie, bousculé émotionnellement par la posture méprisante et affreusement condescendante de Flavien Bellec. Le malaise, palpable, suffocant, est éminemment drôle si tenté qu'on arrive à se détacher de la puissance du jeu des acteurs, véritablement impressionnants dans cette faculté qu'ils ont à ancrer la fiction dans une réalité probante. L’intensité de la méchanceté déployée dans leurs échanges est telle que Solal Forte nous rassure. Il va bien. Ils jouent, Flavien Bellec incarne un personnage et lui aussi. Flavien n'est pas ce comédien à qui tout réussi et Solal n'est pas un metteur en scène raté.
Brisée une fois de plus dans sa forme, la représentation reprend un tournant inattendu, cherchant une fois encore à brouiller les pistes de ce qui se joue et de ce qui aurait dû se jouer. Déconstruisant toujours un peu plus les possibles d'une adaptation scénique, confrontant le regard imbu de l'artiste qui sait à celui qui doute, Poil de Carotte, Poil de Carotte met en scène le supplice de la mise en scène.

S'appuyant sur des ressorts de mise en scène ingénieux, Flavien Bellec et Solal Forte nous parlent de création, de ces doutes inhérents à son processus, de la difficulté de faire sens et de le retrouver quand on l'a perdu.
Dans une mise en abîme saisissante Flavien Bellec, Étienne Blanc et Solal Forte construisent devant nous les prémisses de la représentation à laquelle nous n'assisterons jamais.
Surprenante réflexion sur le thème de l'angoisse et du doute de l'artiste, Poil de Carotte, Poil de Carotte s'appuie sur la théâtralité pour mieux l'interroger, avec une distance ironique irrésistible.

 

Teaser | Poil de Carotte, Poil de Carotte from Frenhofer Compagnie on Vimeo 

 

Poil de Carotte, Poil de Carotte de Flavien Bellec et Étienne Blanc jusqu'au 22 avril 2023 au Monfort Théâtre

conception et interprétation : Flavien Bellec, Étienne Blanc et Solal Forte
diffusion : Katia Dalloul
Production : Compagnie Frenhofer
Coproduction : Théâtre des Bains-douches, Le Havre Avec le soutien du réseau Diagonale, du Tanit Théâtre, Lisieux, du Théâtre Lisieux Normandie, Communauté d’Agglomération Lisieux Normandie, de L’Étincelle, Théâtre(s) de la Ville de Rouen, de La Cité Théâtre, Caen, du Rayon Vert, scène conventionnée de Saint-Valery- en-Caux, de La Curie, La Courneuve, et du Théâtre La Reine Blanche, Scène des arts et des sciences, Paris.
Remerciements : Laura Cohen et Clara Achache, Nanterre- Amandiers, centre dramatique national.
Ce spectacle a reçu l’aide à la création du Département du Calvados et de la Région Normandie.
 
Sophie Trommelen, vu le 13 avril au Monfort Théâtre