En collaboration avec le Teatro di Napoli, Jean Bellorini adapte Tartuffe en Italien et fait virevolter la langue de Molière.
Faux
dévot recueilli par Orgon, Tartuffe séduit Orgon et sa mère Pernelle et
s'immisce insidieusement dans les affaires de la famille.
Betti
Predazzi ouvre la pièce. Dans un monologue plein d'une franchise
aigrie, elle incarne Madame Pernelle, caricature de la grand-mère
dépassée par son époque. En patriarche virulente, figure d'un passé
révolu, elle décrie les comportements de ses petits-enfants et de sa
belle-fille. Elle déblatère ses réflexions d'un autre temps, assise dans
son fauteuil roulant dans lequel elle déambule nerveusement tout autour
de la table. Le ressort comique donne le ton de la pièce.
Jean Bellorini centre les tensions au sein même de la famille.
L'action
se joue alors dans le cœur de la maison, cuisine défraichie de la grande
demeure bourgeoise, où les personnages se retrouvent, se croisent et
s'invectivent.
La cuisine devient le lieu propice aux confidences et aux discussions.
Entre deux marmites qui cuisent sur le feu, la famille va se découvrir dans le conflit.
Sur
le mur du fond, Jésus sur sa croix, lunette noire, pantalon de cuir,
trône sur la pièce comme un rappel à l'ordre religieux, omniprésent.
L'omnipotence sera elle incarnée par Tartuffe.
Federico
Vanni aussi drôle qu'inquiétant, interprète cet étranger qui sous le
prétexte de sa dévotion et de la bonne parole va vouloir s'approprier
non seulement les biens mais aussi la fille ainsi que la femme d'Orgon.
Marianne alors promise au faux dévot, contre son gré, c'est la cellule familiale qui implose.
Cette
implosion est représentée par Dorine, la servante. Angela de Nicolais
incarne avec une fraicheur et un naturel convainquant la parole juste.
Elle s'interpose sans crainte et avec courage et démonte chaque fois un
peu plus les arguments d'Orgon, embrigadé par la posture de Tartuffe,
tartufada, comme elle le décrira.
La
traduction pleine de rythme et de vivacité de Carlo Repetti nous
entraine dans cet imbroglio familial.
Les moments de tensions
s'enchainent, entrecoupés par des chansons de variétés italiennes,
moments suspendus pleins de tendresse qui raisonnent comme un appel à
l'amour, à la cohésion détruite par la perversité d'un homme sans pitié.
L'amour
est aussi le moteur d'Orgon. A travers l'incarnation du magistral Gigio
Alberti, Jean Bellorini dévoile toute la fragilité d'Orgon qui devient
bêtise lorsque dans un moment jubilatoire il s'unit à Tartuffe. Le
pacte notarial se transforme en cérémonie grotesque par trop de
solennité.
Jean
Bellorini joue avec les ressorts comiques de la pièce Molière sans
jamais occulter la perversité et la dangerosité malveillante d'Il
Tartufo.
La farce et la tragédie s'équilibrent tout en subtilité.
La théâtralité se joue jusque dans le détail des costumes de Macha
Makeïeff. Les
personnages portent des chaussures rouges, noires ou roses selon
l'enjeu. Les chaussettes rouges que portent Il Tartufo quand il séduit
Elmire, Teresa Sapoangelo, illustrent cette théâtralité jusque dans le
détail.
Jean
Bellorini met en scène la famille dont l'hypocrisie et l'égoïsme d'un
faux dévot bouscule les rapports. Le rire porté par une langue pleine
d'élan et de vigueur devient une arme implacable.
Jean
Bellorini porte une troupe de comédiens qui tous ensemble font vivre la
langue de Molière et font raisonner toute sa liberté et son insolence.
Jean Bellorini puise toute sa virtuosité dans un texte à la théâtralité inépuisable et signe cette année Molière avec talent et originalité.
Il Tartufo, jusqu'au 27 mai 2022 au Théâtre Nanterre-Amandiers
Mise en scène, scénographie et lumière
Jean Bellorini
Texte
Molière
Traduction en italien
Carlo Repetti
Avec la troupe du Teatro di Napoli - Teatro Nazionale :
Federico Vanni,
Gigio Alberti,
Teresa Saponangelo,
Betti Pedrazzi,
Ruggero Dondi,
Daria D’Antonio,
Angela De Matteo,
Francesca De Nicolais,
Luca Iervolino,
Giampiero Schiano
Et avec
Jules Garreau
Collaboration artistique
Mathieu Coblentz
Costumes
Macha Makeïeff
Assistante costumes
Anna Verde
Assistant à la scénographie Francesco Esposito
Vu le 22 mai 2022 Au Théâtre Nanterre-Amandiers