Fantasio d'Alfred de Musset

 


Emmanuel Besnault et la Compagnie de l’Éternel Été adaptent avec une originalité rafraichissante Fantasio d'Alfred de Musset.
Dans un esprit de cabaret rock déjanté, la troupe nous entraine dans cette comédie singulière teintée d'une mélancolie qui fait toute l'élégance de la prose de Musset.
 
Fantasio conte l’histoire de ce jeune homme désabusé qui traine son ennui dans les rues de la ville. Les nuits de débauche dans lesquelles il se complait ne comblent pas le vide d'une existence qui a perdu tout son sens.
Ma tête est comme une vielle cheminée sans feu : il n'y a que du vent et des cendres. 
 
Pris d'un coup de folie, Fantasio s'immisce dans le palais en prenant la place du bouffon du roi. Dans un costume scintillant, mi-Jocker, mi-bouffon, Fantasio ouvre les portes de la fantaisie pour mieux provoquer le pouvoir en place.
Promise à un mariage qu'elle ne peut compromettre, sinon au prix du malheur de son père, le destin de la princesse Elsbeth croise celui du désabusé Fantasio. 
Mais cela est cruel, quelquefois, de n'être qu'une fille de roi.
 
L'adaptation prend alors des allures de conte. Fantasio convainc la princesse d'écouter son cœur et de renoncer à son mariage avec le prince de Mantoue.
Il y a du merveilleux dans l'univers d'Emmanuel Besnault. Fantasio est une histoire de princesse, une princesse enfermée dans sa condition qu'un homme noyé dans son désenchantement viendra libérer.
 
Dès les premiers instants, la troupe installe une atmosphère surprenante qui nous happe et éveille notre plaisir de spectateur. Le décor s'ouvre sur une piste de cirque au damier lynchien, laissant découvrir un cabaret rock au fond de la scène.
La scénographie d'Emmanuel Besnault, la musique live et les costumes de Valentin Perrin nous plongent dans un univers où le baroque se mêle à un esprit rock romantique jouissif et bienvenu. 

L'adaptation a ce ton du drame sans pourtant jamais sombrer dans le pathos. Le texte se fait poésie, ponctué par la musique live qui entrecoupe les scènes comme pour mieux exprimer la mélancolie qui se dégage de ces corps énergiques.
Chacun ici semble prisonnier de sa condition. Tous se cachent derrière le masque de la bonne figure et ne semblent jamais être soi-même. Chaque personnage porte le rôle que la société lui attribue et jongle avec le rôle qu'il s'est créé à travers un jeu de mascarade.
Les moments de vérité exultent dans les monologues, intimes et sincères. Chacun est vrai dans sa conscience, faux dans le visage qu'il tend au monde.
 
Benoit Gruel porte le costume de Fantasio avec une incarnation profonde et entière, à la fois enfant quand il joue dans sa cabane, borderline lorsque le vin le rend surhumain, philosophe lorsqu'il s’évertue à éveiller les consciences.
Manuel Le Velly exalte tout l'ego surdimensionné de ce Prince de Mantoue. Ses tentatives de séduction introduisent des scènes dont la saveur très Comedia dell'arte arrive à faire surgir tout le ridicule d'un homme égoïste et narcissique.
Magnifique dans sa robe de mariée, Elsa Orial incarne magistralement une princesse au romantisme attachant, mi-femme, mi-enfant, enfermée dans une condition qu'elle n'a pas choisie.
Deniz Türkmen et Lionel Fournier apportent cette touche de spontanéité et équilibrent de leur fraicheur ce monde en quête de valeur.
Les acteurs poussent le caractère des personnages dans leurs extrêmes. Ils deviennent de par leur singularité de véritables personnages entiers sans qu'aucun ne fasse de l'ombre à l'autre.

Si La politique est une fine toile d'araignée, dans laquelle se débattent bien des pauvres mouches mutilées, Fantasio trouve un sens à sa vie en faisant échouer ce mariage ridicule et se libère ainsi lui-même.
 
Emmanuel Besnault tout en collant au texte de Musset fait surgir toute la modernité du propos. Il met en scène l'absurdité d'une société dans laquelle la nouvelle génération ne trouve pas sa place.
Fantasio ne recherche pas une réussite calquée sur des modèles qui ne le font pas rêver, le bonheur est ailleurs.
L'alcool et la décadence ne suffissent plus à assouvir cette soif de liberté, et ce n'est qu'en s'engageant contre le système qui l'emprisonne que la nouvelle génération trouvera un sens à ses actes.
 
Emmanuel Besnault et la Compagnie de l’Éternel Été s’approprient avec une fantaisie burlesque toute la saveur d'un texte poétique et engagé.
Le dynamisme et la complicité de la troupe éclairent l'histoire d'amitié et de liberté qui anime la pièce.
Une fantaisie rock exaltée qui s'accorde, sans lui faire d'ombrage, au texte de Musset.

 



Crédit photo : Valentin Perrin

 
Fantasio d'Alfred de Musset jusqu'au 27 mars au Théâtre Lucernaire.

mise en scène et scénographie d'Emmanuel Besnault
avec : Lionel Fournier, Benoît Gruel, Elisa Oriol, Deniz Türkmen et Manuel Le Velly
Assistante, masques et accessoires : Juliette Paul
Lumières : Cyril Manetta
Costumes et maquillages : Valentin Perrin  
Production  : Compagnie de l’Éternel Été
Coréalisation : Théâtre Lucernaire
Vu le 8 février 2022 Au théâtre Lucernaire