Gabrielle entre dans le hall de son immeuble, sol orange, boite aux lettres en bois usé. Le décor de Jacques Gabel nous installe dans une ambiance feutrée, vintage, aussi élégante qu'une photo sur papier glacé.
Gabrielle est professeur de français. Son élève, Daniella, s'est suicidée. Ses parents sont à l'étage, devant son pallier, ils attendent désespérément une explication, nouer un dialogue salvateur qui ne viendra pas. Gabrielle, interprétée par Nicole Garcia, ne montera pas les marches. Ses réponses, elle les délivrera dans un monologue tendu, intense et implacable, seule, dans ce hall.
La minuterie ponctue alors l'aparté et plonge le personnage dans ses parts d'ombre et de lumière. Les lumières de Dominique Brugière éclairent le texte en soubresauts, exacerbant la tension physiologique de ces aveux pleins de contradictions et d’honnêteté.
Nicole Garcia instaure instantanément le malaise qu'inspire le personnage de Gabrielle. Elle n'est pas là pour se montrer aimable, bienveillante ou indulgente.
Ironique, elle ne comprend d’ailleurs pas ce qui anime ces parents dans ce vain désir de savoir.
Est-il toujours dans le malheur un coupable ?
La justesse de l’interprétation de Nicole Garcia s'allie à la puissance d'un texte écrit sur mesure par Marie NDiaye. Elle incarne toute l'ambivalence d'une femme qui navigue entre déni et jalousie et plonge dans son passé, explicitant l'indicible. Se montrant forte, pensant s'assumer, elle se noie dans tout ce qu'elle a renié en elle pour devenir qui elle est.
Résonne alors le cri de désespoir de Daniella à sa professeure : Vous ne voyez donc rien ?
Le fantôme du personnage principal de la pièce se fait la voix des souffre-douleurs, ceux qui voudraient se faire tout petit et qui pourtant sont mis en exergue dans un rôle subi de victime.
Marie NDiaye crée un monde à la dialectique subtilement inversée, où l'agressé agresse, par sa différence, sa singularité.
Nicole Garcia est magistralement portée par la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, qui enferme les vicissitudes de cette femme en un instantané, un espace temps qui ne semble ne plus avoir d'issue.
Je crois que sans le savoir j'ai fait un malheur sur terre.
Sans chercher à excuser, le texte de Marie NDiaye énonce le réveil d'une conscience. Le déni se mêle aux certitudes et révèle les souffrances d'une femme qui s'est enfermée dans ses propres sacrifices contenus et alors mis à mal dans sa douloureuse remise en question.
Nicole Garcia porte toute l'intelligence et la profondeur d'un texte
fort, implacable, dans ce qu'il dit de nos contradictions, de nos
mécanismes complexes d'auto-défense qui empêchent de faire corps avec la
souffrance de l'autre.
Royan. La professeure de français de Marie NDiaye du 18 au 28 avril 2024 au Théâtre de Paris
Mise en scène : Frédéric Bélier-Garcia
Avec : Nicole Garcia
Décor : Jacques Gabel
Lumières : Dominique Brugière
Son : Sébastien Trouvé
Collaboration artistique : Sandra Choquet, Caroline Gonce
Collaboration au jeu : Vincent Deslandres
Costumes : Camille Janbon
Maquillage : Chiristophe Danchaud
Coiffure :Julien Parizet
Photo Christophe Raynaud de Lage
représentations :
février 2023 : Théâtre de la Ville
Vu au théâtre de la ville le 20 janvier 2022